L'humanité doit changer ou elle disparaitra
La
grande déconvenue de Copenhague est à la mesure de l'espoir que cette
rencontre avait suscité. Après les grandes cérémonies précédentes, il
fallait être singulièrement naïf pour croire qu'une quelconque décision
- que la gravité des enjeux nécessite absolument - allait surgir d'une
ambiance de hall de gare, où chaque nation veille avant tout sur ses
intérêts propres. L'enjeu, lui, est des plus simples. Suite à des
transgressions de l'espèce humaine, il se pose comme un ultimatum.
L'humanité doit changer de comportement à l'égard de la planète qui
l'héberge, si elle ne veut pas disparaître. Sur une planète une et indivisible - et dont la diversité et la
cohésion renforcent la vie et la survie -, notre espèce, en dépit de sa
nature également unitaire, est fragmentée. L'avénement très récent du
phénomène humain a instauré un vivre ensemble fondé sur l'antagonisme.
Certains font appel aux théories de M. Darwin pour le justifier. Quoi
qu'il en soit, contrairement aux autres espèces, il n'a pas pour seul
mobile la lutte pour la survie - relativement facile à solutionner -,
mais des causes plus subtiles : les mythes, les croyances, les symboles
pour exorciser une sorte de peur primale. Ces paramètres sont
omniprésents dans toutes les concertations lorsqu'il s'agit de
résolutions communes. La rivalité issue de l'insécurité est allée jusqu'à apposer un ordre
cloisonné, fait de morceaux de planète appelés territoires, à l'origine
de grands conflits. Ces territoires sont comme les éléments d'un puzzle
mais qui, au lieu de rendre intelligible le tout, en exacerbent la
confusion. C'est ainsi que les questions factuelles, censées être
examinées à l'occasion de ces rencontres, se posent en occultant les
mécanismes subjectifs qui les sous-tendent et les déterminent. Le sort
commun est guidé par des préjugés, alors qu'il devrait au contraire
transcender les intérêts particuliers des nations. C'est aussi la même irrationalité qui fait que, au lieu d'exalter la
splendeur d'une planète vivante et unique, elle est ravalée à un simple
gisement de ressources à exploiter jusqu'à leur épuisement. Pour ce
faire, un ordre anthropophagique mondial s'est imposé insidieusement,
avec une règle du jeu qui permet aux plus voraces de dévorer légalement
les plus démunis. Pire encore, des Etats corrompus vont même jusqu'à
confisquer à leurs populations les biens légitimes indispensables à
leur survie. Comme nous ne sommes pas à une perversion près, le
tiers-monde suscite, comme contrepartie de son appauvrissement
programmé, des dispositifs internationaux à caractère compassionnel,
pour lui allouer quelques subsides. Par une sorte de cynisme moralisé,
la politique du pompier pyromane devient un mécanisme normal, banalisé,
comme l'humanitaire est devenu le moyen compensatoire aux défaillances
de l'humanisme, seul en mesure de le rendre sans objet. Le plus extraordinaire encore, c'est d'avoir réussi à donner le
noble vocable d'"économie" - à savoir la régulation des échanges pour
la satisfaction des besoins de tous - à ce qui est le déni même de
l'économie. La croissance économique fondée sur la prédation et la
dissipation des ressources provoque une multitude d'effets directs et
collatéraux négatifs parmi lesquels, justement, le réchauffement
climatique, objet de Copenhague. Bien des problématiques, comme la faim dans le monde, mériteraient
autant d'effervescence, mais on sait que les priorités sont définies,
au-delà même de l'autorité politique, par la puissance insidieuse de
l'argent. On entend souvent dire que ces rencontres permettent
néanmoins de sensibiliser l'opinion aux grands enjeux écologiques. Cela
est indéniable, comme est indéniable la sincérité de nombreuses
personnes qui aspirent au changement de l'aventure humaine. Mais il
faut cesser d'être naïf, car le temps n'est pas à l'aménagement de
notre modèle de société, mais à un changement radical pour qu'enfin, en
plaçant l'humain et la nature au cœur de nos préoccupations, nos
talents et nos moyens puissent être mobilisés pour construire un monde
digne de la vraie intelligence. Nous en avons les moyens matériels, il ne nous manque que l'audace
et la détermination. Ce qui donne de l'espoir, c'est que la société
civile planétaire semble déjà s'être engagée activement pour que ce
changement de paradigme puisse advenir.
Pierre Rabhi, fondateur de Colibris, mouvement pour la terre et l'humanisme
Article paru sur le site de latribune.fr le 25/01/2010